Lupus en EHPAD : entre invisibilité et nécessité d’une meilleure reconnaissance

21/10/2025

Un regard sur le lupus : maladie rare, enjeux majeurs

Le lupus, ou lupus érythémateux systémique (LES), est une maladie auto-immune complexe touchant en moyenne 5 à 50 personnes sur 100 000 en Europe occidentale selon Orphanet. Il s’agit d’une affection chronique pouvant compromettre de multiples organes : articulations, peau, reins, système nerveux et cœur. Ses symptômes sont variés, parfois trompeurs et fluctuent d’une phase à l’autre, rendant le diagnostic difficile. Le lupus touche préférentiellement les femmes (neuf cas sur dix), et commence le plus souvent entre 15 et 45 ans. Pourtant, avec l’allongement de l’espérance de vie, la population âgée affectée augmente, ce qui amène à poser la question : le lupus est-il suffisamment connu et reconnu dans les EHPAD ?

Une pathologie encore trop méconnue dans le secteur médico-social

Les EHPAD (Établissements d'Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes) accueillent de plus en plus de personnes atteintes de maladies chroniques, dont certaines « maladies rares ». Pourtant, le lupus reste souvent en marge des préoccupations principales :

  • Formation pluriprofessionnelle insuffisante : Les soignants sont familiarisés aux grandes pathologies du vieillissement (Alzheimer, Parkinson, diabète, insuffisance cardiaque…) mais rarement au lupus. Selon l’enquête menée par l’Association Française du Lupus en 2023, seulement 22% des professionnels en établissement médico-social estiment avoir eu une information spécifique sur cette maladie.
  • Symptômes souvent assimilés à d’autres troubles : Fatigue chronique, douleurs diffuses, troubles cutanés… ces signes peuvent être mis à tort sur le compte de l’âge ou d’autres pathologies plus courantes, retardant d’autant la prise en charge adaptée.
  • Rareté et invisibilité : Moins d’un résident sur 1 000 en EHPAD serait diagnostiqué lupus, rendant cette maladie quasi invisible lors de la formation et de l’élaboration de protocoles de soins internes (source : données internes CNSA, 2022).

L’impact du manque de reconnaissance sur la prise en charge des résidents

Ce déficit de connaissance et de reconnaissance du lupus a des conséquences notables pour les personnes âgées touchées :

  • Sous-diagnostic ou retard de diagnostic : Selon la Société Française de Rhumatologie, 15% des cas de lupus tardivement diagnostiqués en France concernent des personnes de plus de 60 ans (2022). Nombreux sont les résidents dont les douleurs ou les altérations cutanées ne sont pas reconnues comme possibles manifestations d’un lupus.
  • Gestion inadaptée des traitements : Le lupus requiert souvent des médicaments immunosuppresseurs et des corticoïdes. Une mauvaise gestion peut entraîner des infections graves ou des complications métaboliques (diabète, ostéoporose…), particulièrement à risque chez les aînés.
  • Soutien psychologique négligé : Le lupus peut générer anxiété et isolement social, or cette dimension est rarement prise en compte, faute d’identification de la pathologie et de sa spécificité.

Un témoignage relayé par France Lupus Illies indique qu’une résidente, âgée de 78 ans, a vu le diagnostic de lupus posé plus de trois ans après son entrée en établissement, alors que des symptômes persistants (ulcérations buccales, arthrites) étaient attribués à une "polymédication" et à l’avancée en âge.

L’évolution de la population en EHPAD : vers plus de maladies auto-immunes ?

L’âge moyen d’entrée en EHPAD en France ne cesse de croître (87,7 ans en 2021 selon la DREES), mais on observe aussi une augmentation de la diversité des pathologies prises en charge du fait du progrès médical. Autrement dit, davantage de résidents ayant survécu à des maladies autrefois fatales — dont le lupus — arrivent en institution. La survie à 10 ans d’un lupus est aujourd’hui supérieure à 90% (source : Orphanet, 2023), ce qui induit mécaniquement plus de cas potentiels en EHPAD.

Il est désormais fréquent de croiser des résidents “polypathologiques” ayant un vécu complexe de maladies auto-immunes, lupus inclus, ce qui suppose une adaptation continue des pratiques professionnelles.

Problématiques spécifiques du lupus chez la personne âgée en EHPAD

  • Présentation clinique atypique : Chez le sujet âgé, le lupus peut débuter différemment, avec moins d’atteintes cutanées et plus souvent des symptômes articulaires ou rénaux discrets (source : Revue Gériatrie et Psychologie).
  • Polymédication et interactions : Les résidents prennent déjà en moyenne 6 à 8 médicaments quotidiens (DREES, 2021). Rajouter des traitements spécifiques au lupus augmente le risque d’interactions.
  • Effets secondaires et tolérance : Les corticoïdes et immunosuppresseurs exposent à des effets indésirables plus marqués chez les personnes âgées : chutes, fractures, confusion, aggravation de diabète, risques infectieux.
  • Difficultés d’adhésion au traitement : A cause de troubles cognitifs fréquents en EHPAD, la surveillance thérapeutique doit être renforcée et personnalisée.

Quelle place pour le lupus dans la formation et les outils professionnels des EHPAD ?

Si de nombreux EHPAD s’organisent autour de la prise en charge de pathologies fréquentes, le lupus est peu intégré dans les référentiels et outils :

  • Protocoles d’établissement : La maladie est rarement explicitement mentionnée dans les protocoles d’identification et de gestion des maladies auto-immunes, à la différence du diabète ou de l’insuffisance cardiaque.
  • Formations continues : Seulement 12% des professionnels enquêtés par la Société Française de Gériatrie et Gérontologie déclarent avoir suivi une formation continue incluant une partie sur le lupus (2022).
  • Carnets de liaison et transmission d’informations : De nombreux formulaires utilisés en EHPAD ne proposent pas de case spécifique pour le suivi d’une pathologie auto-immune rare, ce qui complexifie la communication avec les familles et spécialistes.

Des leviers pour une reconnaissance accrue du lupus en EHPAD

Face à ces constats, plusieurs pistes pourraient renforcer la visibilité et la prise en charge du lupus en institution :

  1. Sensibiliser les soignants et équipes d’EHPAD : - Intégration systématique des maladies auto-immunes dans les plans de formation annuels. - Sessions dédiées à l’identification des manifestations atypiques du lupus chez la personne très âgée.
  2. Mieux articuler EHPAD et spécialistes : - Facilitation du recours à des spécialistes (rhumatologue, interniste) pour ajuster les traitements et traiter les complications. - Utilisation systématique du Dossier Médical Partagé pour assurer un suivi en ville et en institution.
  3. Inclure explicitement le lupus dans les protocoles des établissements : - Élaboration de fiches pratiques et guides actualisés à destination du personnel.
  4. Mieux accompagner les résidents et les familles : - Organisation de temps d’échange avec les proches pour expliciter la nature et les besoins spécifiques de la maladie. - Mise à disposition de ressources traduites et accessibles sur le lupus.

Vers une nécessaire montée en compétences et reconnaissance

Le vieillissement de la population et la diversité accrue des pathologies appellent à faire évoluer la culture soignante en EHPAD. Dès lors, reconnaître le lupus, ce n’est pas seulement mieux diagnostiquer : c’est aussi individualiser l’accompagnement, affiner l’appréciation de la douleur, du handicap, voire de la fluctuation de l’état général. Cela passe par des échanges interprofessionnels et une actualisation constante des pratiques. Des initiatives locales voient le jour : ateliers de sensibilisation, plateformes de téléexpertise et partenariats avec des centres spécialisés.

Alors que la France compte aujourd’hui entre 20 000 et 30 000 personnes vivant avec le lupus (source : Orphanet), leur accompagnement en EHPAD représente un défi qu’il ne faut plus négliger. La question de la reconnaissance du lupus en établissement doit désormais trouver toute sa place, à la croisée des enjeux de santé publique et de l’humanisation des soins.

Sources
  • Orphanet – Dossier lupus érythémateux systémique, 2023
  • DREES – Les résidents en EHPAD en 2021
  • Société Française de Rhumatologie – Bulletin clinique, 2022
  • Association Française du Lupus – Rapport enquête professionnelle, 2023
  • France Lupus Illies – Témoignages de patients, 2022
  • CNSA – Statistiques EHPAD, 2022